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Le ciel est rose tendre et l’azur sans frissons.
Au ras du sol mouillé l’ardent soleil flamboie,
Et la nuit toute grise envahit les sillons
Et atteint chaque chose et la baigne et la noie.

Oh ! quel bonheur tranquille !… Hélas ! est il possible
Que ce que je sens là se soit toujours senti,
Que tous les jeunes gens au cœur tendre et sensible
Au spectacle du soir se soient émus aussi !

Que mon enthousiasme ardent et poétique
Pour tout ce que je sens ne soit pas même à moi,
S’étant développé de manière identique
Chez tous les jeunes gens d’après la même loi !

Oh ! rien d’original ! Rien de nouveau !… J’enrage !
Rien qui ne se soit vu ! Rien qui ne se soit dit !
Et pas un sentiment qui n’ait eu son langage !
Pas un état d’esprit qu’un penseur n’ait traduit !

Hélas ! Je suis banal quand je veux exprimer
Que le printemps est doux, que les filles sont belles,
Que j’ai besoin de jouir, que j’ai besoin d’aimer,
Et que les nuits d’été semblent surnaturelles !

L’amour, brutalité ! Le printemps, lieu commun !
Eh bien ! moi, j’ai besoin de parler de ces choses,
Des immenses forêts, de leur âcre parfum,
De la nuit et du soir, des femmes et des roses !