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L’OMBRE



C’est moi ! c’est moi, pauvre âme ! ô trop longtemps pleurée !
Aux sources de l’Oronte ivres d’aube et d’oiseaux,
C’est moi qui sur tes pas abaissais les roseaux,
Et de tes hautes mains prenais l’urne altérée.

Et plus tard, quand Eros mêla notre destin,
C’est moi qui venais traire au ventre des chamelles
Le lait mince, étiré des tremblantes mamelles,
Dans l’outre obèse et lisse aux flancs couverts de thym.

Me connais-tu ? Devant la clairière interdite,
Je gardais les boucs blancs promis à l’Aphrodite
Et tressais des iris aux cornes des béliers…

Approche-toi, pauvre âme à jamais solitaire,
Ombre qui viens, fidèle à tes champs familiers,
Revoir l’eau successive et l’immuable terre.