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sont nées les Scènes de la Vie Parisienne. Ce serait un beau sujet de thèse que de retrouver là Mme d’Abrantès, car la narratrice donnait à Balzac non seulement le réel mais l’imaginaire. Ce n’est pas une entreprise inabordable que de discerner l’un et l’autre — et Balzac — dans la Comédie Humaine ; mais encore y faut-il quelque préparation.

Dans les Mémoires, où manque le troisième élément le rêve et le réel ne se mélangent pas. Hors les songeries, tout est franchise. Pas d’histoires mixtes. Le conte s’épluche de lui-même, comme une amande. — Personne ne peut croire que Bonaparte ait voulu épouser Mme Permon, ni surtout qu’il ait tenté de séduire Mme Junot. Bonaparte courtisant la femme du gouverneur de Paris ! C’est plus qu’imaginaire, c’est impossible.

Par contre, la même imagination lui permet d’évoquer avec une vie étonnante les personnages qu’elle met en scène. Elle écrit d’après nature les souvenirs qu’elle peint. Charles IV et Maria-Luisa[1] ne sont pas moins vivants par elle que par Goya. En quelques lignes, elle dessine un portrait inoubliable. Je ne connais rien de plus discret, ni de plus tendre qu’une silhouette silencieuse de Mme Récamier, vers la fin de son dernier volume (Restauration, VI, 408).

N’oublions pas que, dans leur ensemble et dans

  1. Souvenirs d’Ambassade, 1837.