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de banque ou d’assurance ; on a renouvelé toutes ses boutiques, changé ou supprimé tous ses restaurants et il semble que cette transformation perpétuelle soit nécessaire à son existence comme le labourage régulier est nécessaire à la vie d’un champ. Plus on le bouleverse et mieux nous comprenons que sa personnalité est invulnérable.

D’où vient donc cette suprématie qu’il exerce depuis un demi-siècle sur l’opinion de Paris et tous ceux que l’âme parisienne inspire et domine ? D’où vient qu’en un temps où la vie mondaine s’est éloignée d’une lieue vers l’ouest et environne le bois de Boulogne, l’arbitre des élégances reste immuablement à sa place, entre la Madeleine et la Bourse ?


Qu’est-ce que le Boulevard ? Est-ce le cerveau de Paris ? Non, certes.

Paris enferme une cité intellectuelle qui s’étend de l’Institut vers le Panthéon, et du Palais de justice à l’Observatoire. Ses habitants ne passent les ponts qu’en voyage. Ils vont parfois jusqu’aux musées du Louvre, jusqu’à la Bibliothèque nationale ; mais le Boulevard ne leur appartient pas. Ils s’y promènent en étrangers, comme s’ils venaient de plus loin que New-York, et avec un sentiment de defiance à l’égard des passants qu’ils croisent. Leur costume est exotique, leur barbe date d’un autre âge, leur voix n’est rien