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je le prends pour le mien, je le proclame, je le développe, je le signe, et je le fais signer par tous les artistes. Défiez-m’en.

La Danseuse. — Alors il suffit de…

Moi. — Non, il ne suffit pas, mais c’est déjà beaucoup que lorsqu’une artiste prétend exprimer une émotion, elle l’éprouve elle-même à un tel degré qu’elle ne sache plus qui la voit en scène, ni comment elle sera jugée.

La Danseuse. — Vieux débat que celui-là.

Moi. — Tranché depuis longtemps… Donc Mme Duncan paraît, et dès que nous avons applaudi en elle, avant toute chose, la joie de la danse, nous sommes pris par l’objet du spectacle qu’elle donne. Tour à tour, elle anime des statuettes antiques, des figures de vases que nous avions vues immobiles et qu’elle semble ressusciter ; ou bien, elle invente, elle reconstitue, que vous dirai-je ? elle interprète ; il le faut bien. Ces gestes de tête si antiques et si nouveaux qui placent le cou tantôt dans la ligne du bras et tantôt, renversée, dans la ligne du corps, c’est la résurrection de la danse athénienne. Et quand Mme D. au milieu d’une danse grave, s’arrête tout à coup, lève le genou jusqu’à la poitrine et fait avec la jambe droite un pas lent d’un si beau caractère tragique…

La Danseuse. — Oui. Vous comprenez ça.

Moi. — Une trouvaille !