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qu’il est déjà trop tard pour lutter. Si elle reste auprès de son frère, elle le séduira fatalement. Elle, son aînée. Cela est monstrueux. Donc, elle le quittera. Elle brisera sa propre vie. Mais du moins ce ne sera pas sans lui avoir dit : « Pourquoi m’as-tu traitée avec tant de douceur ? » Et à l’instant où elle s’enfuit, elle finira par lui crier… la phrase atroce, la phrase qu’il n’oubliera plus, et suffit bien, je pense, à expliquer enfin l’état d’âme de René : « J’en mourrai. TU EN SERAS LA CAUSE. Voilà ce que je voulois te dire. Adieu. »

Châteaubriand ajoute ici (toujours dans le texte des Martyrs) :

Elle se leva, prit sa lampe et disparut.
Jamais, seigneurs, je n’ai éprouvé une douleur pareille. Rien n’est affreux comme le malheur de troubler l’innocence. Je m’étais endormi au milieu des dangers, content de trouver en moi la résolution du bien… Cette tiédeur devoit être punie : j’avois bercé dans mon cœur les passions avec complaisance, il étoit juste que je subisse le châtiment des passions.

Ceci est exactement un commentaire de René. Dès lors, comment supposer que, si peu d’années après avoir publié ce « fragment » de son histoire il ait mis en scène un second épisode si bien comparable au premier, sans puiser aux mêmes souvenirs de son douloureux passé ?

« Tu en seras la cause » : tel est le mot qui jeta l’ombre sur toute sa jeunesse.