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citoyen des Méropes. Peut-être fut-ce à la suite d’une maladie grave qu’il se décida à mettre sa vieillesse sous la protection d’Asklêpios, à qui l’île était consacrée. Dans ce lieu adorable, au bord de la mer Céramique, en vue de Cnide et d’Halicarnasse, il vit le soir tomber peu à peu sur sa vie. C’est là qu’il apprit un jour la mort d’Héliodora ; je le sais, car son épitaphe est en langue dorienne. Il lui dit adieu de très loin, comme au dernier souvenir de sa jeunesse orientale. Autour de lui, les abeilles bruissaient dans les vignes ; sur les prairies scintillait le cri des cigales, et des femmes passaient sur la route enveloppées de lumière rose par ces légères étoffes de soie transparente que l’on tissait à Kôs même, et qui laissaient aux formes leur beauté. Au-dessus de la ville, entre le ciel et la mer profondément bleus, rayonnait la blancheur de l’Asklêpiéon ; Méléagre y montait souvent, car l’enceinte sacrée renfermait le marbre incomparable de Praxitèle : « Aphrodite vêtue », qu’il avait sculpté, disaient les prêtres, dans l’inspiration d’Apollon.

C’est là qu’ayant fait pour lui-même cette couronne fleurie des Muses qu’on appelle l’Anthologie, entouré des vers qu’il aimait, il s’endormit dans la paix des dieux, vers le temps où naquit Jésus.


26 février 1893.