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voûtée qui amuse un enfant ; la courtisane qui attend, debout, un doigt dans les lèvres ; il vendit aussi les divinités porte-bonheur que les Syriens plaçaient dans leurs maisons et qui leur assuraient la fécondité de la terre ; c’était la persique Anaïtis, hideuse et obèse, à la coiffure élargie ; c’était la svelte Fortune qui relève sa tunique jusqu’à son nombril, à la fois pour mieux courir et pour se donner plus vite.

Peut-être même grava-t-il en creux dans la pierre dure les moules de ces lampes roses qui illustraient avec simplicité « les jeux que la lampe voit seule », et venaient à propos éclairer l’imagination des amants.

De tels petits sujets étaient traditionnels. Le monde devenait vicieux. On avait trouvé depuis bien des siècles déjà tout ce que l’art peut obtenir de l’idée ou de la matière, et les artistes se résignaient à ne plus traiter que des motifs où l’invention avait moins de part que la personnalité. Lucien regarda beaucoup la terre et les vivants ; pour le reste il utilisa l’effort de ses prédécesseurs, et ce fut ainsi qu’il apprit à écrire.

Il écrivit beaucoup. Sans le savoir, il fondait pour l’éternité, car son œuvre est un des très rares qui soient parvenus jusqu’à nous sans trop de lacunes. Tandis que nous n’avons d’Eschyle que 7 tragédies sur 70, nous pouvons lire et apprécier 82 opuscules attribués au seul Lucien. C’est une richesse.

Les moines chrétiens qui copiaient et conservaient dans les couvents une si faible part de la littérature grecque, ont préservé Lucien de l’oubli. Grâces leur en seraient rendues s’ils avaient agi en lettrés. Mais ils montraient d’autres soucis. Ils répandaient ces livres avec zèle, non pas parce qu’ils étaient beaux, mais parce qu’ils étaient impies. De même qu’entre tous les comiques grecs, les moines aimaient Aristophane pour la familiarité parfois grossière avec laquelle il traitait les dieux, de même ils lisaient Lucien