Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 1.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre joie. On connaît ces petites figurines. Elles ont eu la fortune de plaire à ceux-là même qui n’entendront jamais rien ni à l’antiquité ni à la statuaire. Il ne faut pas leur en vouloir. Le public arrive à aimer quelquefois même les jolies choses, et il serait impuissant à les déconsidérer s’il ne les faisait imiter aussitôt par ses artistes de prédilection qui les rendent brusquement insupportables.

Donc Lucien tout enfant maniait la cire molle avec son petit pouce et un ébauchoir d’os. Il façonna des bœufs, des chevaux, puis des femmes. Un jour, on le mit en apprentissage chez un de ses oncles qui, lui, était sculpteur de marbre ; mais le marbre n’était pas matière dont Lucien pût faire usage. Au premier bloc qu’on lui confia, il donna maladroitement un coup de ciseau qui brisa tout. Averti par cette expérience et par un cruel nerf de bœuf qui le fouetta où vous savez, le pauvre petit renonça pour toujours à figurer dans le Paros la forme des dieux olympiens. Delà vient sans doute qu’il s’est tant moqué d’eux plus tard.

Il se remit à modeler des jeunes filles d’argile, avec la terre rouge de Syrie où était tombé le sang d’Adonis. Car Lucien naquit en Syrie, comme Méléagre, comme Philodeme, comme tant d’autres à qui une lignée asiatique, avouée ou clandestine, a transmis le don de la grâce avec l’instinct si particulier qui fait pressentir en toutes choses une volupté latente et promise.

On peut reconstituer sans invraisemblance la série de ses figurines. Les modeleurs du second siècle éditaient des sujets variés, mais de nombre pourtant restreint. Lucien dut mettre tout son zèle à faire vivre un corps féminin sous les plis serrés de l’himation ; il dessina le nasal d’un casque ou la palme d’un éventail ; il assit sur le banc sculpté un torse de femme en rêverie et pressa de chaque côté les petits bâtons d’argile grise, qui, palpés avec prudence, s’effilent en forme de bras nus ; la petite fille qui joue aux osselets, un genou et une main sur la terre ; la vieille nourrice