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LE ROMAN D’UN ENFANT

derrière moi, allongeant les mains de marche en marche, pour m’attraper les jambes…

Et vraiment je ne suis pas bien sûr que, dans ces mêmes escaliers, en y mettant un peu de bonne volonté, je n’arriverais pas à m’en inquiéter encore aujourd’hui, de ce monsieur et de cette dame ; ils ont été si longtemps à la tête de toutes mes frayeurs d’enfant, si longtemps ils ont mené le cortège de mes visions et de mes mauvais rêves !…

Bien d’autres apparitions sombres ont hanté les premières années de ma vie, si exceptionnellement douces pourtant. Et bien des rêveries sinistres me sont venues, les soirs : impressions de nuit sans lendemain, d’avenir fermé ; pensées de prochaine mort. Trop tenu, trop choyé, avec un certain surchauffage intellectuel, j’avais ainsi des étiolements, des amollissements subits de plante enfermée. Il m’aurait fallu autour de moi des petits camarades de mon âge, des petites brutes écervelées et tapageuses, — et au lieu de cela, je ne jouais quelquefois qu’avec des petites filles ; — toujours correct, soigné, frisé au fer, ayant des mines de petit marquis du xviiie siècle.

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