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LE ROMAN D’UN ENFANT

objets qu’il était d’usage de préparer ainsi pour les personnes mourantes ; mais, comme je questionnais tout bas, un peu inquiet, elles m’expliquèrent : c’étaient simplement des sachets qu’elles taillaient et qu’elles allaient coudre, pour une vente de charité.

Je leur dis qu’avant de me coucher je voulais m’approcher de grand’mère, pour essayer de lui souhaiter le bonsoir, et elles me laissèrent faire quelques pas vers le lit ; mais, comme j’arrivais au milieu de la chambre, se ravisant subitement après un coup d’œil échangé :

— Non, non, dirent-elles à voix toujours basse, reviens, tu pourrais la déranger.

Du reste, je venais de m’arrêter de moi-même, saisi et glacé : j’avais compris…

Malgré l’effroi qui me clouait sur place, je m’étonnais que grand’mère fût si peu désagréable à regarder ; n’ayant encore jamais vu de morts, je m’étais imaginé jusqu’à ce jour que, l’âme étant partie, ils devaient faire tous, dès la première minute, un grimacement décharné, inexpressif, comme les têtes de squelettes. Et au contraire, elle avait un sourire infiniment tranquille et doux ; elle était jolie toujours, et comme rajeunie, en pleine paix…

Alors passa en moi une de ces tristes petites