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LE ROMAN D’UN ENFANT

me conduisit chez nos amis, les D***, pour dîner avec Lucette.

Mais quand je fus ramené par ma bonne, vers huit heures et demie, je voulus monter tout droit chez grand’mère.

Dès l’abord, je fus frappé de l’ordre parfait qui était rétabli dans les choses, de l’air de paix profonde que cette chambre avait pris… Dans la pénombre du fond, mon père était assis immobile, au chevet du lit, dont les rideaux ouverts se drapaient correctement et, sur l’oreiller, bien au milieu, j’apercevais la tête de ma grand’mère endormie ; sa pose avait je ne sais quoi de trop régulier, — de définitif pour ainsi dire, d’éternel.

À l’entrée, presque à la porte, ma mère et ma sœur travaillaient de chaque côté d’une chiffonnière, à la place qu’elles avaient adoptée pour veiller, depuis que grand’mère était malade. Sitôt que j’avais paru, elles m’avaient fait signe de la main : « Doucement, doucement ; pas de bruit, elle dort. » L’abat-jour de leur lampe projetait la lumière plus vive sur leur ouvrage, qui était un fouillis de petits carrés de soie, verts, bruns, jaunes, gris et où je reconnaissais des morceaux de leurs anciennes robes ou de leurs anciens rubans de chapeaux. Dans le premier moment, je crus que c’étaient des