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LE ROMAN D’UN ENFANT

ces tableaux des murs, représentant des fleurs dans des vases.

Oh ! ces aquarelles qui étaient chez grand’mère, pauvres petites choses naïves ! Elles portaient toutes cette dédicace : « Bouquet à ma mère, » et au-dessous, une respectueuse poésie à elle dédiée, un quatrain, qu’à présent je savais lire et comprendre. Et c’étaient des œuvres d’enfance ou de première jeunesse de mon père, qui, à chaque anniversaire de fête, embellissait ainsi l’humble logis d’un tableau nouveau. Pauvres petites choses naïves, comme elles témoignaient bien de cette vie si modeste d’alors et de cette sainte intimité du fils avec la mère, — au vieux temps, après les grandes épreuves, au lendemain des terribles guerres, des corsaires anglais et des « brûlots »… Pour la première fois peut-être je songeais que grand’mère avait été jeune ; que sans doute, avant ce trouble survenu dans sa tête, mon père l’avait chérie comme moi je chérissais maman, et que son chagrin de la perdre allait être extrême ; j’avais pitié de lui et je me sentais plein de remords pour avoir ri des chansons, pour avoir ri des causeries avec l’image de miroir…

On m’envoya en bas. Sous différents prétextes, on me tint constamment éloigné pendant la fin de la journée sans que je comprisse pourquoi ; puis on