Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LE ROMAN D’UN ENFANT

sais quel adagio désolé, ce fut pour moi comme une évocation de routes noires dans les bois, de grande nuit où l’on se sent abandonné et perdu ; puis je vis très nettement Gaspard errer sous la pluie, à un carrefour sinistre, et, ne se reconnaissant plus, partir dans une direction inconnue pour ne revenir jamais… Alors les larmes me vinrent, et comme on ne s’en apercevait point, le violon continua de lancer dans le silence ses appels tristes, auxquels répondaient, du fond des abîmes d’en dessous, des visions qui n’avaient plus de forme, plus de nom, plus de sens.

Ce fut ma première initiation à la musique, évocatrice d’ombres. Des années se passèrent ensuite avant que j’y comprisse de nouveau quelque chose, car les petits morceaux de piano, « remarquables pour mon âge », disait-on, que je commençais à jouer moi-même, n’étaient encore rien qu’un bruit doux et rythmé à mes oreilles.