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LE ROMAN D’UN ENFANT

puis il y avait la mer, qu’on devinait tout autour, nous isolant ; la campagne encore plus plate, plus battue par le vent ; les grands sables, les grandes plages…

Ma bonne était aussi de Saint-Pierre-d’OIeron, d’une famille huguenote dévouée de père en fils à la nôtre, et elle avait une manière de dire : « dans l’île » qui me faisait passer, dans un frisson, toute sa nostalgie de là-bas.

Une foule de petits objets venus de l’ « île » et très particuliers avaient pris place chez nous. D’abord ces énormes galets noirs, pareils à des boulets de canon, choisis entre mille parmi ceux de la grand’côte, polis et roulés pendant des siècles sur les plages. Ils faisaient partie du petit train régulier de nos soirées d’hiver ; aux veillées, on les mettait dans les cheminées où flambaient de beaux feux de bois ; ensuite on les enfermait dans des sacs d’indienne à fleurs, également venus de l’île, et on les portait dans les lits, où, jusqu’au matin, ils tenaient chauds les pieds des personnes couchées.

Et puis, dans le chai, il y avait des fourches, des jarres ; il y avait surtout une quantité de grandes gaules droites, en ormeau, pour tendre les lessives, qui étaient de jeunes arbres choisis et coupés dans