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LE ROMAN D’UN ENFANT

fleurs, ne sachant auxquelles courir, piétinant dessus, me mouillant les jambes de rosée, émerveillé de tant de richesses à ma discrétion, voulant prendre à pleines mains et tout emporter. Ma sœur, qui déjà tenait une gerbe d’aubépines, d’iris, de longues graminées comme des aigrettes, se penchait vers moi, me tirant par la main, disant : « Allons, c’est assez, à présent ; nous ne pourrons jamais tout cueillir, tu vois bien. » Mais je n’écoutais pas, absolument grisé par la magnificence de tout cela, ne me rappelant pas avoir jamais vu rien de pareil.

C’était le commencement de ces promenades avec mon père et ma sœur qui, pendant longtemps (jusqu’à l’époque maussade des cahiers, des leçons, des devoirs) se firent presque chaque jour, tellement que je connus de très bonne heure les chemins des environs et les variétés des fleurs qu’on y pouvait moissonner.

Pauvres campagnes de mon pays, monotones mais que j’aime quand même ; monotones, unies, pareilles ; prairies de foins et de marguerites où en ces temps — là, je disparaissais, enfoui sous les tiges vertes ; champs de blé, avec des sentiers bordés d’aubépines… Du côté de l’Ouest, au bout des lointains, je cherchais des yeux la mer qui, parfois, quand on était allé très loin, montrait au-dessus de