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LE ROMAN D’UN ENFANT

apparition de ma mère auprès de mon petit lit de malade, ce matin, m’a tant frappé, puisqu’elle était presque constamment avec moi. Il y a là encore des dessous très mystérieux ; c’est comme si, à ce moment particulier, elle m’avait été révélée pour la première fois de ma vie.

Et pourquoi, parmi mes jouets d’enfant conservés, ce pot à eau de poupée a-t-il pris, sans que je le veuille, une valeur privilégiée, une importance de relique ? Tellement qu’il m’est arrivé, au loin, sur mer, à des heures de danger, d’y repenser avec attendrissement et de le revoir, à la place qu’il occupe depuis des années, dans une certaine petite armoire jamais ouverte, parmi d’autres débris ; tellement que, s’il disparaissait, il me manquerait une amulette que rien ne me remplacerait plus.

Et ce pauvre châle de barège lilas, reconnu dernièrement parmi des vieilleries qu’on voulait donner à des mendiantes, pourquoi l’ai-je fait mettre de côté comme un objet précieux ?… Dans sa couleur, aujourd’hui fanée, dans ses petits bouquets rococos d’un dessin indien, je retrouve encore comme une protection bienfaisante et un sourire ; je crois même que j’y retrouve du calme, de la confiance douce, presque de la foi ; il s’en échappe pour moi toute une émanation de ma mère enfin, mêlée peut-être