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LE ROMAN D’UN ENFANT

Pour la dernière des dernières fois, j’entrai dans ce jardin, qui me parut tout rapetissé, sous le ciel gris. J’allai d’abord à ce berceau du fond, — effeuillé, désolé aujourd’hui, — où j’avais écrit à mon frère ma lettre solennelle, et, à l’aide toujours de cette même brèche du mur qui me servait jadis, je me hissai sur le faîte, pour regarder furtivement la campagne d’alentour, lui dire à la hâte un suprême adieu : le domaine de Bories m’apparut, alors, singulièrement rapproché et rapetissé lui aussi ; méconnaissable, comme du reste ces montagnes du fond qui avaient l’air de s’être abaissées pour n’être plus que de petites collines. Et tout cela, que j’avais vu jadis si ensoleillé, était sinistre aujourd’hui sous ces nuages de novembre, sous cette lumière terne et grise. J’eus l’impression que l’arrière-automne était commencé dans ma vie, en même temps que sur la terre.

Et du reste, le monde aussi, — le monde que je croyais si immense et si plein d’étonnements charmeurs, le jour où je m’étais accoudé sur ce même mur, après ma grande décision prise, — le monde entier ne s’était-il pas décoloré et rétréci à mes yeux autant que ce pauvre paysage ?…

Oh ! surtout cette apparition du domaine de Bories, semblable à un fantôme de lui-même sous