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LE ROMAN D’UN ENFANT

souvenir. Était-ce bien possible, pourtant, qu’elle ne fût et n’eût jamais été qu’un rien sans vie, replongé maintenant pour toujours dans le néant des choses imaginaires, effacées… Je désirais me rendormir, pour la revoir ; l’idée que c’était fini, rien qu’un rêve, me causait une déception, presque une désespérance.

Et je fus très long à l’oublier ; je l’aimais, je l’aimais tendrement ; dès que je repensais à elle, c’était avec une commotion intérieure, à la fois douce et douloureuse ; tout ce qui n’était pas elle me semblait, pour le moment, décoloré et amoindri. C’était bien l’amour, le vrai amour, avec son immense mélancolie et son immense mystère, avec son suprême charme triste, laissé ensuite comme un parfum à tout ce qu’il a touché ; ce coin de la cour, où elle m’était apparue, et ce vieux rosier sans fleurs qui l’avait entourée de ses branches, gardaient pour moi quelque chose d’angoissant et de délicieux qui leur venait d’elle.