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LE ROMAN D’UN ENFANT

fraîche ; mais son front et ses yeux restaient perdus sous un voile de nuit ; je ne voyais tout à fait bien que sa bouche, qui s’entr’ouvrait pour sourire dans l’ovale délicieux de son bas de visage. Elle se tenait tout contre le vieux rosier sans fleurs, presque dans ses branches. — La nuit, la nuit s’assombrissait toujours. Elle était là comme chez elle, venue je ne sais d’où, sans qu’aucune porte eût été ouverte pour la faire entrer ; elle semblait trouver naturel d’être là, comme moi, je trouvais naturel qu’elle y fût.

Je m’approchai bien près pour découvrir ses yeux qui m’intriguaient, et alors tout à coup je les vis très bien, malgré l’obscurité toujours plus épaisse et plus alourdie : ils souriaient aussi, comme sa bouche ; — et ils n’étaient pas quelconques, — comme si, par exemple, elle n’eût représenté qu’une impersonnelle statue de la jeunesse ; — non, ils étaient très particuliers au contraire ; ils étaient les yeux de quelqu’un ; de plus en plus je me rappelais ce regard déjà aimé et je le retrouvais, avec des élans de tendresse infinie…

Réveillé alors en sursaut, je cherchai à retenir son fantôme, qui fuyait, qui fuyait, qui devenait plus insaisissable et plus irréel, à mesure que mon esprit s’éclairait davantage, dans son effort pour se