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LE ROMAN D’UN ENFANT

m’en avait donné était bien pris maintenant, difficile à changer, malgré mes troubles, malgré mes envies latentes de courir au loin et au large. Le plus souvent je gardais la maison, occupé à peindre d’étranges décors, ou bien à jouer du Chopin, du Beethoven, tranquille d’apparence et absorbé dans des rêves ; et plus que jamais je m’attachais à ce foyer, à tous ses recoins, à toutes les pierres de ses murs. Il est vrai, maintenant je montais à cheval, mais toujours seul avec des piqueurs, jamais avec d’autres enfants de mon âge ; je continuais à n’avoir point de camarades de jeux.

Cependant cette seconde année de collège me paraissait déjà moins pénible que la première, moins lente à passer, et j’avais fini du reste par me lier avec deux grands de la classe, mes aînés d’un ou deux ans, les seuls qui l’année précédente ne m’avaient pas traité en petit personnage impossible. La première glace une fois rompue, c’était devenu tout de suite entre nous trois une grande amitié, sentimentale au possible ; nous nous appelions même par nos noms de baptême, ce qui est tout à fait contraire aux belles manières des collèges. Et, comme nous ne nous voyions jamais, jamais qu’en classe, obligés de causer mystérieusement bas, sous la férule des maîtres, nos relations étaient, par cela seul,