Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
LE ROMAN D’UN ENFANT

piano, avec cette musique hallucinée de Chopin que je venais tout récemment de découvrir. Il s’en inquiéta même, disant que c’était trop, que cela m’énervait. Venant à peine d’arriver au milieu de nous, il se trouvait en situation de juger mieux et il comprenait peut-être que je subissais un réel surmenage intellectuel, en fait d’art s’entend ; que Chopin et Peau-d’Ane m’étaient aussi dangereux l’un que l’autre ; que je devenais d’un raffinement excessif, malgré mes accès incohérents d’enfantillage, et que presque tous mes jeux étaient des jeux de rêve. Un jour donc, il décréta, à ma grande joie, qu’il fallait me faire monter à cheval ; mais ce fut le seul changement laissé par son passage dans mon éducation. Quant à ces graves questions d’avenir que je voulais tant traiter avec lui, je les reculais toujours, effrayé d’aborder ces sujets, préférant gagner du temps, ne pas prendre de décision encore et prolonger pour ainsi dire mon enfance. Cela ne pressait pas, du reste, puisqu’il était pour des années avec nous…

… Et un beau matin, quand on comptait si bien le garder, l’ordre lui arriva du ministère de la marine, avec un nouveau grade, de partir sans délai pour l’Extrême Orient où une expédition s’organisait.