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LE ROMAN D’UN ENFANT

chambre, à la lueur d’une bougie, ou à l’aube grise et glacée, avant l’heure odieuse de repartir pour le collège.

On était un peu consterné, au salon, d’entendre de loin cette bacchanale ; de voir surtout qu’elle m’amusait maintenant plus que les sonates à quatre mains, plus que la « belle bergère » ou les « propos discordants ».

Et ce tournoiement triste autour de cette table fut recommencé tous les dimanches, sur la pointe de dix heures et demie, pendant au moins deux hivers… Le collège ne me valait rien décidément, et encore moins les pensums ; tout cela, qui m’avait pris trop tard et à rebours, me diminuait, m’éteignait, m’abêtissait. Même au point de vue du frottement avec mes pareils, le but qu’on avait cru atteindre était manqué aussi complètement que possible. Peut-être, si j’avais partagé leurs jeux et leurs bousculades… Mais je ne les voyais jamais qu’en classe, sous la férule des professeurs, c’était insuffisant ; j’étais déjà devenu un petit être trop spécial pour rien prendre de leur manière ; alors je m’enfermais et m’accentuais encore plus dans la mienne. Presque tous plus âgés et plus développés que moi, ils étaient beaucoup plus délurés aussi, et plus avancés pour les choses pratiques de la vie ; de là