Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
LE ROMAN D’UN ENFANT

J’allai la lire sur le toit du grenier, du côté où séchaient les prunes. Il me parlait longuement d’un lieu appelé Fataüa, qui était une vallée profonde entre d’abruptes montagnes ; « une demi-nuit perpétuelle y régnait, sous de grands arbres inconnus, et la fraîcheur des cascades y entretenait des tapis de fougères rares »… oui… j’entrevoyais cela très bien, beaucoup mieux, à présent que j’avais, moi aussi, autour de moi des montagnes et des vallées humides remplies de fougères… Du reste, c’était décrit d’une façon précise et complète : il ne se doutait pas, mon frère, de la séduction dangereuse que ses lettres exerçaient déjà sur l’enfant qu’il avait laissé si attaché au foyer familial, si tranquille, si religieux…

« C’était seulement dommage, me disait-il en terminant, que l’île délicieuse n’eût pas une porte de sortie donnant quelque part sur la cour de notre maison, sur le grand berceau de chèvrefeuille, par exemple, derrière les grottes du bassin… »

Cette idée d’une sortie dérobée ouvrant dans le mur de notre fond de cour, ce rapprochement surtout entre ce petit bassin construit par mon frère et la lointaine Océanie, me frappèrent singulièrement et, la nuit suivante, voici quel fût mon rêve :

J’entrais dans cette cour ; c’était par un crépus-