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LE ROMAN D’UN ENFANT

puis elle me confiait les clefs des immenses ruines et je m’y enfonçais seul, avec une délicieuse crainte, par un chemin déjà familier, franchissant des portes à ponts-levis, des remparts qui se superposaient.

Donc, j’étais seul et pour de longs moments, assuré de ne voir paraître personne avant une heure ou deux ; libre d’errer au milieu de ce dédale, maître dans ce haut et triste domaine. Oh ! les moments de rêve que j’y ai passés !… D’abord je faisais le tour des terrasses, surplombant l’abîme des bois vus par en dessus ; des étendues infinies se déroulaient de tous côtés ; des rivières traçaient çà et là sur les lointains des lacets d’argent, et, à travers l’atmosphère limpide de l’été, mes yeux plongeaient jusque dans des provinces voisines. Beaucoup de calme semblait répandu sur ce recoin de France, qui vivait de sa petite vie propre, un peu comme au bon vieux temps, et qu’aucune ligne de chemin de fer ne traversait encore…

Puis je pénétrais dans l’intérieur des ruines, dans les cours, les escaliers, les galeries vides ; je montais dans les tours, faisant lever des vols de pigeons, ou bien dérangeant de leur sommeil des chauves-souris et des chouettes. Il y avait au premier étage des enfilades de salles immenses, encore couvertes.