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LE ROMAN D’UN ENFANT

pour me venger de son esprit, plus précocement appointé et moqueur que le mien. Je l’engageai donc à sentir de près des lis qui étaient charmants, et, tandis qu’elle se penchait, d’une très légère poussée derrière les cheveux, je lui mis le nez en plein dans les fleurs, pour la barbouiller de pollen jaune. Elle fut indignée ! Et le sentiment d’avoir commis un acte de mauvais goût acheva de me rendre pénible notre retour de promenade.

Les belles soirées de mai !… J’avais pourtant gardé, de celles des années précédentes, un souvenir autrement doux ; elles étaient donc ainsi ?… Ce froid, ce ciel couvert, cette solitude des jardins ? Et si vite, si mal finie, cette journée d’amusement avec Jeanne ! En moi-même, je conclus à ce mortel : « Ce n’est que ça ! » qui est devenu dans la suite une de mes plus ordinaires réflexions, et que j’aurais aussi bien pu prendre pour devise…

En rentrant, j’allai inspecter dans le coffre de bois notre travail de l’après-midi, et je sentis l’odeur balsamique des planches, qui avait imprégné tous nos objets de théâtre. Eh bien, pendant très longtemps, pendant un an, deux ans, ou plus, cette même senteur du coffre de Peau-d’Ane me rappela obstinément cette soirée de mai, et son immense tristesse qui fut une des plus singulières de ma vie