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LE ROMAN D’UN ENFANT

tôt, elle passa par une certaine gentillesse, et finit par devenir tout à fait mignonne et charmante sur ses huit ou dix ans. Très malicieuse, aussi sociable que j’étais sauvage ; aussi lancée dans les bals et les soirées d’enfants que j’en étais tenu à l’écart, elle me semblait alors posséder le dernier mot de l’élégance mondaine et de la coquetterie comme il faut.

Et malgré la grande intimité de nos familles, il était manifeste que ses parents voyaient nos relations d’un mauvais œil, trouvant mal à propos sans doute qu’elle eût pour camarade un garçon. J’en souffrais beaucoup, et, les impressions des enfants sont si vives et si persistantes, qu’il a fallu des années passées, il a fallu que je devinsse presque un jeune homme pour pardonner à son père et à sa mère les humiliations que j’en avais ressenties.

Il en résultait pour moi un désir d’autant plus grand d’être admis à jouer avec elle. Et elle, alors, sentant cela, faisait sa petite princesse inaccessible de contes de fées ; raillait impitoyablement mes timidités, mes gaucheries de maintien, mes entrées manquées dans des salons ; c’était entre nous un échange de pointes très comiques, ou d’impayables petites galanteries.