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LE ROMAN D’UN ENFANT

ne tardait pas à apercevoir Lucette, venant à notre rencontre, en voiture ou à pied, avec son père ou sa mère. Et dès que je l’avais reconnue, je prenais ma course pour aller l’embrasser.

On franchissait le village, en longeant l’église — une antique petite merveille du xiie siècle, du style roman le plus reculé et le plus rare ; — alors, le crépuscule s’éteignant toujours, on voyait surgir devant soi une haute bande noire : les bois de la Limoise, composés surtout de chênes verts, dont le feuillage est si sombre. Puis on s’engageait dans les chemins particuliers du domaine ; on passait devant le puits où les bœufs attendaient leur tour pour boire. Et enfin on ouvrait le vieux petit portail ; on pénétrait dans la première cour, espèce de préau d’herbe, déjà plongé dans l’ombre tout à fait obscure de ses arbres de cent ans.

L’habitation était entre cette cour et un grand jardin un peu à l’abandon, qui confinait aux bois de chênes. En entrant dans les appartements très anciens, aux murailles peintes à la chaux blanche et aux boiseries d’autrefois, je cherchais d’abord des yeux ma papillonnette, toujours accrochée à la même place, prête pour les chasses du lendemain…

Après dîner, on allait généralement s’asseoir au fond du jardin, sur les bancs d’un berceau adossé