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LE ROMAN D’UN ENFANT

beaucoup de mes petits rêves d’écolier sont restés posés sur ses lointains plats, où de temps eu temps il m’arrive de les retrouver encore… Elle est la seule aussi qu’on ne m’ait pas défigurée avec des usines, des bassins ou des gares. Elle est absolument à moi, sans que personne s’en doute, ni ne songe par conséquent à m’en contester la propriété.

La somme de charme que le monde extérieur nous fait l’effet d’avoir, réside en nous-mêmes, émane de nous-mêmes ; c’est nous qui la répandons — pour nous seuls, bien entendu, — et elle ne fait que nous revenir. Mais je n’ai pas cru assez tôt à cette vérité pourtant bien connue. Pendant mes premières années toute cette somme de charme était donc localisée dans les vieux murs ou les chèvrefeuilles de ma cour, dans nos sables de l’île, dans nos plaines d’herbages ou de pierres. Plus tard, en éparpillant cela partout, je n’ai réussi qu’à en fatiguer la source. Et j’ai, hélas ! beaucoup décoloré, rapetissé à mes propres yeux ce pays de mon enfance — qui est peut être celui où je reviendrai mourir ; je n’arrive plus que par instants et par endroits à m’y faire les illusions de jadis ; j’y suis poursuivi, naturellement, par de trop écrasants souvenirs d’ailleurs…

… J’en étais à dire que, tous les mercredis soirs, je prenais, d’un pas joyeux, cette route-là pour me