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LE ROMAN D’UN ENFANT

semblable, au bord d’une mer derrière laquelle se couchait un soleil énorme, et, au pied de cet arbre, un jeune sauvage regardant venir, du bout de l’horizon, le navire porteur de la bonne nouvelle du salut. Dans mes commencements tout à fait, quand, au fond de mon petit nid rembourré d’ouate, le monde ne m’apparaissait encore que déformé et grisâtre, cette image m’avait donné à rêver beaucoup ; j’étais capable à présent d’apprécier tout ce qu’elle avait d’enfantin comme exécution, mais je continuais de subir le charme de cet immense soleil, à demi abîmé dans cette mer, et de ce petit bateau des missions arrivant à pleines voiles vers ce rivage inconnu.

Donc, quand on me questionnait maintenant, je répondais : « Je serai missionnaire. » Mais je baissais la voix pour le dire, comme quand on ne se sent pas très sûr de ses forces, et je comprenais bien aussi qu’on ne me croyait plus. Ma mère elle-même accueillait cette réponse avec un sourire triste ; d’abord c’était dépasser ce qu’elle demandait de ma foi ; — et puis elle pressentait sans doute que ce ne serait point cela, que ce serait autre chose, de plus tourmenté et de tout à fait impossible à démêler pour le moment.

Missionnaire ! Il semblait cependant que cela con-