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LE ROMAN D’UN ENFANT

refrain monotone s’éloignait, s’en allait se perdre, chaque soir du même côté, dans les mêmes rues basses avoisinant le port et les remparts… Le trajet de cette marchande était invariable, — et je la suivais par la pensée avec un intérêt singulier, aussi longtemps que sa chanson, de minute en minute reprise, s’entendait encore.

Dans cette attention que je lui prêtais, il y avait de la pitié pour elle, pauvre vieille ainsi errante toutes les nuits ; — mais il y avait aussi un autre sentiment qui s’ébauchait, — oh ! si confus encore, si vague, que je vais lui donner trop d’importance, rien qu’en l’indiquant de la façon la plus légère. Voici : j’avais une sorte de curiosité inquiète pour ces quartiers bas, vers lesquels la marchande se rendait si bravement, et où on ne me conduisait jamais. Vieilles rues aperçues de loin, solitaires le jour, mais où, de temps immémorial, les matelots faisaient leur tapage les soirs de fête, envoyant quelquefois le bruit de leurs chants jusqu’à nous. Qu’est-ce qui pouvait se passer là-bas ? Comment étaient ces gaietés brutales qui se traduisaient par des cris ? À quoi donc s’amusaient-ils, ces gens revenus de la mer et des lointains pays où le soleil brûle ? Quelle vie plus rude, plus simple et plus libre était la leur ? — Évidemment, pour mettre au point tout ce