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LE ROMAN D’UN ENFANT

joie bruyante de me sentir entouré, et en songeant avec impatience à ces petits jeux auxquels on allait jouer pour moi tout à l’heure. Nos voisins, les D***, venaient tous les dimanches passer la soirée avec nous ; c’était de tradition dans les deux familles, liées par une de ces anciennes amitiés de province, qui remontent à des générations précédentes et se transmettent comme un bien héréditaire. Vers huit heures, quand je reconnaissais leur coup de sonnette, je sautais de plaisir et je ne pouvais me tenir de prendre ma course pour aller au-devant d’eux à la porte de la rue, surtout à cause de Lucette, ma grande amie, qui venait aussi avec ses parents, cela va sans dire.

Hélas ! avec quel recueillement triste je les passe en revue, ces figures aimées ou vénérées, bénies, qui m’entouraient ainsi les dimanches soirs ; la plupart ont disparu et leurs images, que je voudrais retenir, malgré moi se ternissent, s’embrument, vont s’en aller aussi…

Donc, on commençait les petits jeux — pour me faire plaisir, à moi, seul enfant ; on jouait aux mariages, à la toilette à madame, au chevalier cornu, à la belle bergère, au furet ; tout le monde consentait à s’en mêler, y compris les personnes les plus âgées ; grand’tante Berthe, la doyenne,