Page:Loti - Roman d’un enfant, éd. 1895.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
LE ROMAN D’UN ENFANT

barque nous avait déposés, quand la voiture qui nous ramenait franchit les remparts de la ville, j’aperçus enfin ma mère qui nous attendait, je revis son regard, son bon sourire… Et, dans les lointains du temps, c’est une des images très nettes et à jamais fixées que je retrouve, de son cher visage encore presque jeune, de ses chers cheveux encore noirs.

En arrivant à la maison, je courus visiter mon petit lac et ses grottes ; puis le berceau derrière lui, adossé au vieux mur. Mais mes yeux venaient de s’habituer longuement à l’immensité des plages et de la mer ; alors tout cela me parut rapetissé, diminué, enfermé, triste. Et puis les feuilles avaient jauni ; je ne sais quelle impression hâtive d’automne était déjà dans l’air, pourtant très chaud. Avec crainte je songeai aux jours sombres et froids qui allaient revenir, et très mélancoliquement je me mis à déballer dans la cour mes caisses d’algues ou de coquillages, pris d’un regret désolé de ne plus être dans l’île. Je m’inquiétais aussi de Véronique, de ce qu’elle ferait seule pendant l’hiver, et tout à coup un attendrissement jusqu’aux larmes me vint au souvenir de sa pauvre petite main hâlée de soleil qui ne serait plus jamais dans la mienne…