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printemps d’autrefois, sauf que l’on parlait bas, comme dans une demeure mortuaire, et que tous les vêtements étaient noirs. En mon cœur d’enfant, le deuil de mon frère s’assombrissait au lieu de s’éclaircir, à mesure que je repensais à tant de jolis projets faits pour son retour et qui s’étaient évanouis, à mesure que me pénétrait cette inexorable certitude que je ne le reverrais jamais, jamais plus. La place où de préférence j’allais m’isoler pour penser à lui était, au fond de notre cour tapissée de feuillages et de fleurs, le banc vert, auprès du lac en miniature que lui-même avait arrangé pour moi, au moment de son premier grand départ de marin. C’est là que je le revoyais, que je réentendais le mieux sa voix, que je retrouvais l’expression de ses grands beaux yeux, quand il s’amusait à faire le terrassier, à creuser le sol, à assembler autour du trou profond les lourdes pierres rongées par le temps qu’il avait fait venir des bois de la Limoise. Il avait composé les rives de ce petit bassin