Page:Loti - Prime Jeunesse, 1919.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre ses genoux, et moi je ne bougeais pas, je ne pleurais pas, vraiment je n’avais pas encore fini de comprendre.

C’est étrange que, à toutes les grandes émotions de ma vie, se sont toujours associés dans ma mémoire de menus objets, d’infimes détails de choses, qui ensuite ne s’en séparent plus. Ainsi la robe que portait ma mère ce jour-là, — et que je ne revis jamais, puisqu’elle prit le deuil jusqu’à la fin de son existence, — je la retrouve aussi nettement que si elle était encore devant moi ; c’était une robe que j’avais dénommée sa « robe-musique », parce que, sur la soie noire du fond, étaient brochés en semis des petits dessins d’une soie verte très brillante qui figuraient absolument des dièses ; pendant les longues minutes où mes yeux restèrent fixés de tout près sur ce bas de robe, les petits dièses verts se sont pour ainsi dire photographiés en moi-même, et je les vois reparaître chaque fois que je repense à cette heure d’épreuve.