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touchantes soirées de jadis, je réentends la voix très pure de ma sœur chantant, d’une façon naïve peut-être, ces vers magnifiquement sinistres : « Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges, Jeter l’ancre un seul jour ? » C’est que ce « Lac », musique de Niedermeyer, se maintint pendant deux saisons le morceau qui lui fut le plus redemandé par les douces auditrices en papillotes, restées sentimentales à la manière honnête de leur temps ; tellement redemandé que Lucette, avant sa fuite pour la Guyane, avait défini nos soirées, avec sa petite ironie impayable, par cette formule lapidaire : « Le lac, le thé, les tartines. » Pauvre lac, aujourd’hui bien rococo, mais qui n’était pas sans beauté ! Oserai-je dire ici que Lamartine m’était déjà antipathique, dès le collège, par sa poserie et son grand profil pompeux ; cependant le début incontestablement splendide de ce poème, que je m’étais presque lassé d’accompagner si souvent au piano, avait peut-