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ses coiffes blanches, montées sur des carcasses en fil de laiton : tout un petit monde non contaminé encore par le moderne démon de l’Envie, resté paisible, honnête, débonnaire et heureux, que je ne devais plus jamais revoir…

Pour finir la journée, au crépuscule, j’allai dire adieu à notre antique maison familiale, habitée aujourd’hui par le pasteur protestant et où je me sentais encore un peu chez nous. Sous les couches de chaux amoncelées depuis deux ou trois siècles, ses murailles, son large porche au cintre de pierre avaient perdu leurs saillies comme les demeures arabes d’autrefois, et elle se maintenait immuable, telle qu’au jour où mes ancêtres en étaient partis pour leur douloureux exil en Hollande, à la Révocation de l’édit de Nantes. On me laissa errer seul dans le grand jardin enclos de murs, où des buis centenaires bordaient les allées, et, tout au fond, dans le bois où dorment nos aïeux huguenots qui furent exclus des cimetières catholiques : c’est là surtout que je