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bon vieux M. D… qui devait venir au-devant de moi pour me prendre et m’amener chez lui. C’était l’heure du coucher du soleil — oh ! il y a plus de dix années de cela et j’étais encore bien petit enfant. — De loin, dans cette plaine aride des Chaumes, j’aperçus le vieillard qui venait à nous, s’appuyant sur sa canne ; il me parut beaucoup plus grand que ce n’était naturel, et il me fit peur. Je ne fus tout à fait rassuré que quand je lui eus parlé. Un orage effroyable commençait d’emplir le ciel de ses nuages cuivrés et il y avait en l’air des zigzags de feu qui couraient dans tous les sens. Cela réveillait en moi comme des souvenirs indécis de choses que j’aurais connues plusieurs siècles auparavant. On venait de m’initier quelque peu aux Druides, ces primitifs habitants de la Saintonge ; au fond d’un bois de chênes des environs, j’avais vu un de leurs autels, et je me dis que le pays devait avoir ce soir-là le même aspect que de leur temps.

Une fois entré à la Limoise, au crépuscule, je fus particulièrement frappé par l’aspect de ce grand salon de campagne que le tonnerre faisait trembler jusqu’en ses vieilles fondations. À cause de la torride chaleur, les fenêtres étaient encore ouvertes, malgré les premières gouttes de pluie ; le vent d’orage faisait