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je devais retrouver dans les régions tout à fait torrides, en écoutant les petites chansons somnolentes des femmes sénégalaises quand les sables du désert se pâment de chaleur. Aujourd’hui, cela me faisait mal à entendre, d’abord parce qu’il y avait dans l’air on ne sait quoi de languide pour annoncer l’arrière-saison, ensuite parce que l’angoisse du départ planait pour moi sur ces dernières journées, enfin et surtout parce que cette voix, je l’avais aussitôt reconnue : c’était la chère voix de ma mère, si pure jadis, mais où je percevais pour la première fois quelque chose comme une imperceptible fêlure dans un son de cristal. La chanson aussi m’avait été familière toute ma vie ; c’était une berceuse de l’île qui avait servi à nous endormir les uns et les autres depuis plusieurs générations. Et la chanson disait :


Passe la Dormette,
Passe vers chez nous,
Pour endormir Ninette,
Jusqu’au point du jour.