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entrant, je la revois, elle-même, assise dans un fauteuil ; elle n’a pas du tout vieilli, bien qu’il y ait déjà si longtemps que je la croyais morte ; elle a repris son teint coloré, elle me sourit, mais elle met un doigt sur sa bouche pour m’indiquer qu’il lui est défendu de dire un mot.

Toujours et toujours, encadré et accroché au mur au-dessus de sa tête, il y a certain pastel représentant un bouquet de pavots, qu’elle avait terminé avant de partir pour la Guyane. Toujours aussi c’est sa mère qui finit par rompre notre silence : « Tu vois, me dit-elle, nous avons trouvé le moyen de la retenir encore auprès de nous, mais il ne faut pas la faire parler ; ça la fatiguerait, tu comprends, parce qu’elle n’a plus de poumons, sa poitrine est vide. »

Quelquefois le rêve s’arrête là. D’autres nuits, je m’approche de son fauteuil et m’aperçois avec un désespoir mêlé de grande terreur qu’elle ne remue plus, que même elle se dessèche à vue d’œil et qu’une couche de poussière est déjà sur elle…