Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rendant toujours sa même plainte, monotone comme une chanson de Bretagne répétée en rêve par un homme endormi. Yann et Sylvestre avaient préparé très vite leurs hameçons et leurs lignes, tandis que l’autre ouvrait un baril de sel et, aiguisant son grand couteau, s’asseyait derrière eux pour attendre.

Ce ne fut pas long. À peine avaient-ils jeté leurs lignes dans cette eau tranquille et froide, ils le relevèrent avec des poissons lourds, d’un gris luisant d’acier.

Et toujours, et toujours, les morues vives se faisaient prendre ; c’était rapide et incessant, cette pêche silencieuse. L’autre éventrait, avec son grand couteau, aplatissait, salait, comptait, et la saumure qui devait faire leur fortune au retour s’empilait derrière eux, toute ruisselante et fraîche.

Les heures passaient monotones, et, dans les grandes régions vides du dehors, lentement la lumière changeait ; elle semblait maintenant plus réelle. Ce qui avait été un crépuscule blême, une espèce de soir d’été hyperborée, devenait à présent, sans intermède de nuit, quelque chose comme une aurore, que tous les miroirs de la mer reflétaient en vagues traînées roses…