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fois que je me souviens de mon père, et que je revois un peu sa figure. Il devait être noir, ce cheval, et il avait les pieds blancs.

— C’est cela, c’est cela, dit la vieille femme, noir avec les pieds blancs. C’était une bête terrible, et, Jésus ma doué ! quelle idée pour un marin d’avoir un cheval !

L’auberge est remplie de buveurs de cidre qui font un joyeux tapage de verres et de conversations bretonnes. On forme un peu cercle autour de nous.

L’hôtesse a quatre petites-filles, toutes pareilles, qui sont jolies à ravir sous leur coiffe blanche. On ne dirait pas des filles d’auberge : c’est le type accompli de la belle race bretonne du Nord, et puis elles ont l’expression tranquille et réfléchie de ces femmes d’autrefois, que les portraits anciens nous ont conservées. Elles aussi se tiennent près de nous, regardent et écoutent.

À notre tour, on nous interroge. Yves répond :

— Ma mère habite toujours à Plouherzel avec mes deux sœurs. Mes deux frères, Gildas et Goulven, naviguent à la grande pêche sur des baleiniers américains. Moi seul, je navigue depuis dix ans à l’État.