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que la matinée d’hiver avait fait place à une belle journée de mai. Dans les petites rues solitaires, des branches de lilas, des grappes de glycines, des digitales roses que personne n’avait semées égayaient les murs gris ; il y avait du vrai soleil, et tout sentait le printemps.

Et Yves regardait partout, s’étonnant qu’aucun souvenir ne lui revînt de sa petite enfance, cherchant, cherchant très loin dans sa mémoire, ne reconnaissant rien, et alors, peu à peu, se trouvant désenchanté.

Sur la grand’place de Saint-Pol, la foule du dimanche était assemblée, et c’était comme un tableau du moyen âge. La cathédrale des anciens évêques de Léon dominait cette place, l’écrasait de sa masse aux dentelures noires, y jetant une grande ombre des temps passés. Autour, il y avait des maisons antiques à pignons et à tourelles ; tous les buveurs du dimanche, portant de travers leur feutre large, étaient attablés devant les portes. Cette foule en habits bretons, qui était là vivante et alerte, était encore pareille à celle des anciens jours ; dans l’air, on n’entendait vibrer que les syllabes dures, le ya septentrional de la langue celtique.