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fondait dans son ressentiment contre tous les autres.

Barrada l’avait quitté, et la nuit de décembre était venue. Par le panneau de la cale, on ne voyait plus descendre la lueur grise du jour ; ce n’était plus qu’une buée d’humidité qui tombait par là et qui était glacée.

Un homme de ronde était venu allumer un fanal, dans une cage grillée, et tous les objets de la cale s’étaient éclairés confusément. Yves entendit au-dessus de lui faire le branle-bas du soir, tous les hamacs qui s’accrochaient, et puis le premier cri des hommes de quart marquant les demi-heures de la nuit.

Au dehors, il ventait toujours, et, à mesure que le silence des hommes se faisait, on percevait plus fort les grandes voix inconscientes des choses. En haut, il y avait un mugissement continu dans la mâture ; on entendait aussi la mer au milieu de laquelle on était et qui, de temps en temps, secouait tout, comme par impatience. À chaque secousse, elle faisait rouler la tête d’Yves sur le bois humide, et lui avait mis ses mains dessous pour que cela lui fît moins de mal.