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À nous voir ainsi tous deux assis dans ces bois, au calme de ces beaux jours d’été, on n’imaginerait plus quels jeunes hommes nous avons pu être, quelle vie nous avons menée, ni quelles scènes terribles entre nous autrefois, aux premiers moments où nos deux natures, très différentes et très semblables, se sont heurtées l’une à l’autre…

Chaque soir, aux veillées, qui sont courtes, on joue avec petit Pierre à un jeu de Toulven, très amusant, qui consiste à se tenir à deux par le menton et à réciter, sans rire toute une longue histoire : « Par la barbe à Minette, je te tiens. Le premier de nous deux qui rira, etc. » À ce jeu, petit Pierre est toujours pris.

Après, c’est le gymnase. Yves le fait faire à son fils, le tournant, le virant, la tête en bas, les jambes en l’air, à bout de bras, l’élevant bien haut : « Dis, mon petit Pierre, quand auras-tu des bras comme les miens ? Réponds donc : jamais ! oh ! non, jamais des bras comme toi, mon père ; je ne verrai pas assez de misère pour ça, bien sûr. »

Et quand Yves, tout dépeigné, las d’avoir tant fait le diable, dit, en se rajustant, de son plus grand air sérieux : « Allons, petit Pierre a fini son gym-