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comme s’ils craignaient de l’effaroucher en parlant trop fort et trop gaîment.

D’ailleurs nous avons à causer des morts, de cette petite Yvonne qui s’en est allée l’automne dernier sans attendre le retour du Primauguet, et qu’Yves n’a jamais vue ; puis du pauvre vieux Corentin, son grand-père, qui a fini pendant les froids de décembre.

C’est Marie qui raconte :

— Il était devenu très difficile sur sa fin, monsieur, lui qui était un homme si doux. Il disait que nous ne savions pas le soigner et il ne faisait que demander son fils Yves : « Oh ! si Yves était ici, il m’aiderait, lui, il me prendrait dans ses bons bras pour me retourner dans mon lit. » La dernière nuit, tout le temps, il l’appelait.

Et Yves reprend :

— Ce qui me cause le plus de chagrin quand je pense à notre père, c’est que justement nous nous étions un peu fâchés le jour que je suis parti, vous savez, pour ce partage ? Vous ne pouvez croire, frère, comme cela me revient souvent en tête, cette dispute avec lui.

Le dîner est fini ; c’est le soir, le long soir tiède