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Toulven !… La voiture s’arrête. Yves est là à m’attendre, tenant petit Pierre par la main.

Nous nous regardons tous deux, — et voilà que d’abord une même envie de rire nous prend en même temps, à cause de nos moustaches. Cela change nos figures et nous nous trouvons drôles. Nous ne nous étions pas vus depuis que les marins ont le droit d’en porter. Yves exprime l’avis que cela nous donne un air beaucoup plus dégourdi.

Après, nous nous embrassons.

Comme il est encore devenu beau, le petit Pierre, et plus grand, et plus fort !… Nous partons ensemble, traversant Toulven, où les bonnes gens me connaissent, et sortent sur leur porte pour me voir arriver. Nous défilons dans l’étroite rue grise, aux maisons centenaires, aux murs de granit massif. Je reconnais la vieille à profil de chouette qui a présidé à la naissance de mon filleul ; elle me fait bonjour de la tête par une fenêtre ouverte. Les grandes coiffes, les collerettes, les paillettes des corsages, se détachent dans les embrasures profondes, sur les fonds obscurs, et tout cela me jette au passage ces impressions des vieux temps morts qui sont particulières à la Bretagne.