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Anne apparut tout à coup, venue sans bruit pour écouter, et nous fit peur :

— Oh ! Marie, dit-elle, change de place bien vite ; si tu voyais derrière toi comme c’est vilain, ton ombre !

En effet, nous n’y avions pas pris garde. Sa tête seule éclairée par la lune, avec les ailes de sa coiffe qui remuaient au vent, donnait derrière elle, sur le mur tout neuf, l’image d’une chauve-souris très grande et très laide. C’est assez pour nous porter malheur.

Dans Toulven, les binious sonnaient. Pour rentrer à l’auberge, où elles venaient toutes deux me reconduire, il nous fallut traverser une fête inattendue, éclairée par la lune. C’était une noce de riches et on dansait en plein air, sur la place. Je m’arrêtai, avec Anne et Marie, pour regarder la longue chaîne de la gavotte tournoyer et courir, menée par la voix aigre des cornemuses. La belle lune rendait plus blanches les coiffes des femmes, qui passaient devant nous comme envolées dans le vent et la vitesse ; on voyait sur la poitrine des hommes briller rapidement les gorgerins brodés, les paillettes d’argent.