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Mais, après, venait la vraie nuit, tiède, pleine d’étoiles, et l’impression passagère était oubliée ; les matelots venaient tous s’asseoir ou s’étendre à l’avant du navire et commençaient à chanter.

Il y avait des gabiers qui savaient de longues chansons très jolies, dont les refrains se reprenaient en chœur. Les voix étaient belles et vibrantes dans les silences sonores de ces nuits.

Il y avait aussi un vieux maître qui contait toujours à un petit cercle attentif d’interminables histoires ; c’étaient des aventures très certainement arrivées autrefois à de beaux gabiers, que des princesses amoureuses avaient emmenés dans des châteaux.

Il courait toujours, le Primauguet, traçant derrière lui, dans l’obscurité, une vague traînée blanche qui s’effaçait à mesure, comme une queue de météore. Il courait toutes les nuits, sans se reposer ni dormir ; seulement ses grandes ailes perdaient le soir leur blancheur de goéland, et, sur les lueurs diffuses du ciel, on les voyait tout à coup découper, en ombres chinoises, des pointes et des échancrures de chauve-souris.

Mais il avait beau courir, il était toujours au