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nées étaient très suffisamment remplies par des travaux ou des distractions.

À certaines heures, à certains jours fixés d’avance, par le tableau du service à la mer, on permettait aux matelots d’ouvrir les sacs de toile où leurs trousseaux étaient renfermés (cela s’appelait : aller aux sacs). Alors ils étalaient toutes leurs petites affaires, qui étaient pliées là dedans avec un soin comique et le pont du Primauguet ressemblait tout à coup à un bazar. Ils ouvraient leurs boîtes à coudre, disposaient des petites pièces très artistement taillées pour réparer leurs vêtements, que le jeu continuel et la force des muscles usaient vite ; il y avait des marins qui se mettaient nus pour raccommoder gravement leur chemise ; d’autres, qui repassaient leurs grands cols par des procédés extraordinaires (en se tenant longtemps assis dessus) ; d’autres, qui prenaient dans leur boîte à écrire de pauvres petits papiers jaunis, fanés, portant les timbres de différents recoins perdus du pays breton ou du pays basque, et se mettaient à lire : c’étaient des lettres des mères, des sœurs, des fiancées, qui habitaient dans les villages de là-bas.